Marin Maufrais : « Comment concilier fin du monde et fin du mois ? »

A travers la Forêt des Possibles qu'il fait pousser à Marseille, Marin Maufrais touche du doigt le "sujet sensible" de l'écologie populaire.
A terme, toute la donnée recueillie grâce à la Forêt des Possibles permettra de posséder un outil de redirection écologique des flux, des besoins, des aspirations, des compétences et des ressources à différentes échelles.


Marin Maufrais est diplômé de droit public et passionné d’histoire et de philosophie. Fondateur à Marseille de la Forêt des Possibles, il s’investi depuis quatre ans dans les quartiers populaires marseillais où il cherche à vivre de manière cohérente avec les préceptes d’écologie intégrale, de sobriété et de permaculture. Son ambition : oeuvrer à apporter une part de réponse à la question de « Comment concilier fin du monde et fin du mois ? »

Y a t-il question plus juste pour englober tous les enjeux de notre époque ?  Prix du carburant et des matières premières, autonomie alimentaire, questions sur le devenir de notre société et de sa raison d’être…. Tout semble ramener à cette interrogation : « Comment concilier fin du monde et fin du mois ? »

À l’époque des gilets jaunes, quand est né le fameux slogan qui opposait les deux, j’étais lobbyiste chez Danone et en pleine crise d’écoanxiété.

J’ai pris mon courage à deux mains, démissionné de l’entreprise et rencontré son patron, Emmanuel Faber. Cette expérience m’a donné le sentiment que le système était bloqué. Même un patron du CAC 40 a de nombreuses contraintes : pouvoir d’achat, concurrence internationale, pression des actionnaires…

Ces blocages de système sont d’autant plus complexes qu’ils sont interconnectés. Si nous voulons apporter une réponse complète et adaptée à notre question, il faut qu’elle soit organique, applicable partout et à tous. Gigantesque ambition ! Et pourtant, nous détenons toutes et tous une partie de cette réponse.

Pour apporter ma part, j’ai d’abord tenté de répondre à une interrogation : comment embrasser la complexité des enjeux de fin du monde ?

Avec mon cousin, Loïc Marcé, nous sommes persuadés que pour changer nos organisations sociales et nos comportements, il est nécessaire de changer notre façon de percevoir le monde et la place que nous y occupons. Nous avons donc réuni une équipe avec la volonté de transformer les imaginaires.

Comme de nombreuses initiatives vont déjà dans ce sens, sans toutefois parvenir à dépasser le plafond de verre des convaincus, nous avons créé L’Arbre des imaginaires. Ce Wiki de redirection écologique et sociale a vocation de mettre en lien, et de façon cohérente, des milliers de travaux, de pistes de solutions, d’acteurs et d’œuvres d’art, autour de l’allégorie d’un Arbre.

Cet Arbre à Palabre participatif a l’ambition de revigorer le débat public autour de troncs communs que sont les valeurs et les intérêts partagés, et de proposer un grand projet de société résiliente.

Comment répondre à présent aux enjeux de fin du mois ?

Pour continuer mon pas de côté, j’ai décidé il y cinq ans, de vivre en cohérence avec mes valeurs d’écologie populaire et me suis engagé en service civique dans les quartiers nord marseillais avec Unis Cité, et en colocation solidaire avec l’AFEV (Association qui crée du lien entre les étudiants et les quartiers).

Porte-à-porte dans les tours, colis alimentaires avec le Secours Populaire, Fresque du quartier idéal de Félix Pyat réalisée avec les jeunes d’un centre social, maraudes et échanges permanents avec mon coloc’ Younès Ait Kettout… ont marqué mon quotidien et m’ont fait grandir dans ma vie d’homme durant quatre ans.

L’écologie populaire est un sujet sensible. J’ai pu le découvrir à forces d’observations.

Un élément m’a particulièrement frappé. Ne pas avoir trop chaud l’été, ne pas avoir trop froid l’hiver, manger sainement et à sa faim, vivre dans un logement digne, avoir des espaces verts autour de chez soi, faire attention à la sécurité de ses enfants … sont des enjeux qui nous préoccupent tous et qui relèvent de notre cadre de vie, de notre environnement. Pourtant, les « propositions environnementales » que l’on nous soumet semblent déconnectées de ce que l’on peut vivre au quotidien.

Comment nous retrouver, ici aussi, sur un tronc commun, qui rassemble nos aspirations et réalités quotidiennes et les enjeux sociétaux ?

L’atelier de l’Arbre que nous avons imaginé a pour ambition de répondre à cette question en nous invitant à réaliser une introspection collective sur notre écologie intérieure. La sève y représente notre énergie de vie, les racines, notre milieu, le tronc, notre équilibre matériel, l’écorce, ce dont je me protège, etc.

Cet atelier a été déployé auprès de jeunes sans abris du CHRS, d’autres en formation dans les métiers de la transition avec l’Ecole Etre, et aussi avec le Journal Libération. Il a fait naître des moments de partage qui ont permis de révéler les besoins et aspirations fondamentales, d’aller rencontrer ce qui compte vraiment pour chacun, mais aussi des pistes possibles pour y répondre en faisant sens, autant à titre individuel que sociétal.

Coopérer à l’échelle territoriale pour relier les deux pôles « fin du monde » et « fin du mois »

Si L’Arbre des imaginaires propose des réponses globales aux enjeux de fin du monde, et l’atelier de l’Arbre, des réponses sur mesure aux enjeux de fin du mois, il manque un échelon : ce qui se joue dans nos interactions collectives, professionnelles et territoriales.

A Marseille, les initiatives fourmillent dans tous les sens. Les réunir reste cependant difficile. C’est le constat que j’ai pu dresser, notamment en accompagnant le projet de la Cité des transitions. Les enjeux de territoires, de marché, de concurrence sont toujours bien présents. Comment les dépasser pour mieux coopérer ?

L’imaginaire embarquant de la Forêt nous semble être une réponse. Chaque mercredi, à 19h sur Radio Galère, nous recevons les acteurs de la transition écologique et sociale à Marseille pour présenter leur projet. Seuls, ces acteurs ne peuvent pas répondre à l’ensemble des enjeux qui se présentent à nous. Mais en s’associant, ils forment un écosystème résilient et inspirant : une Forêt de Possibles !

Cette Forêt des possibles est associée à une cartographie où chaque acteur et ses propositions de service sont identifiables, pour créer des connections et répondre aux besoins exprimés lors d’ateliers. Les synergies sont accompagnées pour aller plus loin dans la coopération. En bref, il s’agit d’une méthodologie de conciliation de nos intérêts particuliers vers un intérêt général, inspirée de la permaéconomie.

Toute la donnée recueillie permettra, à terme, de posséder un outil de redirection écologique des flux, des besoins, des aspirations, des compétences et des ressources à différentes échelles. Marseille est le territoire d’expérimentation de ce projet qui a vocation à se répandre partout en France comme un immense réseau de lierre.

Que vous soyez citoyen, entreprise, acteur éducatif, culturel ou médiatique, responsable de réseau, d’association ou de collectivité publique, tous les chemins, toutes les questions, toutes les aspirations sont possibles pour passer du Moi au Nous, et du Nous au Tout !

Et vous, quelle est votre juste place ?

 

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