L’été se termine et cette année encore, la température des eaux de surface de la Méditerranée a battu un nouveau record, atteignant de façon ponctuelle les 28,71°C dans son bassin central. Ce nouveau record a fait l’objet de nombreux articles portant sur la tropicalisation de la Méditerranée, comme chaque été, d’ailleurs, ces dernières années.
Pourtant, deux jours après l’enregistrement de ces températures culminantes, l’eau de surface a été mesurée à 19°C sous l’effet du Mistral. Avant de revenir sur ce phénomène de mélange de température des eaux estivales, arrêtons-nous un instant sur certains articles produits dans les médias, particulièrement ceux qui évoquent la menace sur la biodiversité marine que fait peser l’arrivée de nouvelles espèces dans ce territoire méditerranéens qui n’est pas le leur.
En juillet 2022, un grand journal national mentionnait déjà qu’en Méditerranée, « la canicule marine accélère le remplacement des espèces. Avec une température de l’eau jusqu’à 6,5 °C supérieure à la normale au large de l’Espagne, de la France et de l’Italie ». L’article ne manquait pas d’avancer que « les gorgones et les posidonies meurent en masse, obligeant poissons et crustacés, déjà menacés par des prédateurs d’origine tropicale, à migrer ».
En ce début d’été 2024, on apprenait également dans les médias que « les poissons-barracudas », grands prédateurs que l’on trouve habituellement dans l’Atlantique et le Pacifique, « se sont récemment installés en Méditerranée et qu’ils présenteraient une menace pour les baigneurs ».
Dernièrement, une chaîne de la TNT évoquait quant à elle « une Méditerranée qui devient dangereuse, avec une disparition de 80 à 90% des gorgones (colonies d’animaux fixés) qui meurent de chaud au fond de la mer ». Le reportage soulignait « une remontée d’espèces tropicales de la mer Rouge qui amène des espèces invasives, et notamment, des prédateurs qui viennent dévorer les espèces endémiques, comme par exemple, le poisson-lapin avec la posidonie ».
Ces affirmations médiatiques dressent la situation d’une Méditerranée en péril, qui subit le remplacement, à grande échelle, de ses espèces à cause du changement climatique.
La température de l’eau a effectivement battu un nouveau record cet été. Au cours des quarante dernières années, la température moyenne en surface a augmenté de 1,2 °C
(travaux de l’université de Gênes). Les premières mortalités observées sur les espèces marines fixées datent quant à elles de 1999. Elles se sont poursuivies en 2003, 2006, 2009, 2012, 2014, 2018, et dernièrement, en 2022.
Que savons-nous vraiment sur les causes de ces espèces marines fixées qui disparaissent en Méditerranée ?
La température de l’eau joue bien un rôle indéniable. Mais contrairement aux affirmations les plus répandues, il ne s’agit pas la température qui règne en eau de surface, mais bien de celle enregistrée dans la colonne d’eau, plus en profondeur. Il faut en effet que les espèces méditerranéennes fixées baignent longtemps dans une couche d’eau chaude profonde pour se maintenir. Des travaux empiriques évoquent les conditions de 25°C, à 25 mètres et durant 25 jours.
Revenons à présent sur le mélange de température des eaux estivales Si la température élevée de l’eau de mer est un facteur inquiétant pour les espèces méditerranéennes, le vent l’est encore plus.
Le Mistral est un vent de secteur nord à nord-ouest. En période hivernale, il nous glace le sang. En période estivale, il pousse vers le large les eaux chaudes et côtières, ce qui fait remonter par simple action mécanique les eaux froides plus profondes. C’est ce que l’on appelle un upwelling. C’est donc grâce à l’action physique de notre Mistral que l’eau de surface a été mesurée à 19°C. Si nous n’aimons pas particulièrement les périodes de vent, la Méditerranée, elle, en a besoin.
Vent et température n’expliquent cependant pas tout dans le réchauffement de la Méditerranée. Il est possible que d’autres facteurs rentrent en compte, comme la présence de bactéries, de virus ou d’agents pathogènes, qui profiteraient également de l’élévation de la température de l’eau pour proliférer et impacter les espèces fixées. Mais à ce jour, nous n’avons aucune certitude à ce sujet.
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’un pic ponctuel de température, qui établit un nouveau record de température pour la Méditerranée, est bien un signe que notre climat change. Son impact direct sur le vivant reste à contrario encore à démontrer.
Depuis la mise en service du canal de Suez en 1869, la mer Méditerranée et la mer Rouge sont liées. La présence d’espèces étrangères qui remontent de cette mer Rouge vers la grande Bleue, fuyant, peut-être, un territoire devenu moins vivable pour elles, est vécue tantôt comme une invasion, tantôt comme une opportunité de sauver des espèces marines vouées à disparaître.
Personne ne sait en réalité ce que tout cela va devenir. Il est donc risqué d’affirmer que c’est une chance de sauver des espèces qui seraient des réfugiées climatiques, tout comme de prétendre que l’arrivée de ces espèces marines constitue une menace pour les espèces méditerranéennes existantes.
Si l’avenir est incertain quant à cette invasion éventuelle de nouvelles espèces marines dans la grande Bleue, le dernier rapport de la convention de Barcelone (2023) tempère les choses : « Au cours des 15 à 20 dernières années, le taux d’introduction de nouvelles espèces néo-indigènes est resté relativement constant en Méditerranée occidentale et en mer Adriatique, augmentant légèrement en Méditerranée orientale et en Méditerranée centrale ». Et selon les derniers travaux de la convention de Barcelone, les espèces envahissantes venues d’ailleurs ne représentent que 0,6% des espèces en Méditerranée. On est donc bien loin du grand remplacement.
Finalement, quelles certitudes pouvant nous avoir ?
Pour les dégager, il nous faut continuer à observer, à comprendre, à informer de façon factuelle, à évaluer les risques éventuels pour la vie et les écosystèmes marins, pour notre économie et pour notre santé. La Méditerranée d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. Elle ne sera pas non plus celle de demain. La Méditerranée est une mer résiliente. Elle évolue et s’adapte tous les jours. Il nous faudra également le faire.
Et pour garder la tête froide en cette période où la Méditerranée a chaud : non, les poissons et les crustacés n’ont jamais quitté la Méditerranée. Non, le poisson-lapin ne détruit pas les posidonies. Et oui, il y a encore de nombreuses gorgones rouges qui se portent très bien. Quant aux barracudas, ils ne menacent personne.
Pour terminer, je partage avec vous l’observation faite depuis quelques années de la présence en Méditerranée d’un poisson, la girelle Paon (Thalassoma pavo). Ce n’est pas une espèce commerciale, ni une espèce protégée, mais bien une cousine de notre girelle endémique (Coris julis). Elle est plutôt jolie et attrayante pour le plongeur avec ses couleurs vives, et ne semble pas rentrer en compétition avec d’autres poissons, ni avec sa cousine, même s’il semble que leur répartition spatiale réponde à une certaine logique de territorialité.
Cette girelle Paon ne menace pas les baigneurs et ne contient pas de toxines. Ce qui est intéressant, c’est que l’on observe de plus en plus de juvéniles de Thalassoma pavo dans la grande Bleue ces dernières années, et que sa présence semble glisser de la région Sud vers l’Occitanie, où elle était plutôt rare. Son aire de répartition semble s’agrandir d’année en année avec la dissémination de ses œufs par les courants. L’espèce se reproduit, grandit et semble étendre son territoire. Est-ce grave docteur ?