Le 8 mai, la flamme olympique faisait donc son entrée dans la cité phocéenne à bord du Belem. Voguant sur les flots légendaires de Gyptis et Protis et du mythe fondateur de Massilia par les colons grecs quelque 600 ans av. J.-C. Un jour historique marqué du sceau de la fierté, de l’euphorie et de l’engouement populaire, qui a presque fait oublier les poubelles dégueulantes d’immondices d’une ville prise une énième fois en otage par ses éboueurs. Excepté sur le Vieux-Port, lieu emblématique voué à accueillir en grande pompe le trois-mâts français porteur du flambeau, passé au peigne fin la veille par des services de nettoyages réquisitionnés par la Ville.
Parce qu’en ce 8 mai 2024, jour où les yeux du monde allaient se river sur la deuxième ville de France, Marseille l’imparfaite, adulée par les uns, détestée par les autres, se devait de briller. D’être gommée de ses imperfections, presque aussi légendaires que Gyptis et Protis, pour afficher un visage lissé de tout contraste fâcheux sous l’action d’un bistouri esthétique spécial JO Paris 2024.
150 000 personnes attendues, des médias venus en masse d’ici et d’ailleurs, pour immortaliser cette journée à coups de clichés, de vidéos et de commentaires tous plus dithyrambiques les uns que les autres. Y’a pas à dire, à Marseille, on sait faire !
Pourtant la veille, comme un cheveu dans la soupe venant gâcher le goût de cette fête grandiose, le journal Libération publiait dans ses colonnes une tribune à contre-courant. Signée par cinq élu.e.s marseillais.e.s (Sébastien Barles, Nouriati Djambae, Aicha Guedjali,
Prune Helfter-Noah et Aicha Sif) sous le titre « A Marseille, une flamme olympique incompatible avec l’écologie populaire » », pour dénoncer « le dévoiement de l’idéal olympique et la face cachée de cet événement planétaire » pour lequel les élu.e.s affirment ne pas « éprouver de sentiment d’excitation et de fête espérée par nos dirigeants ».
Non pas qu’ils ne croient pas « aux vertus de la pratique sportive, des rencontres et des échanges entre les peuples, des fêtes populaires, des moments de communion et de partage créant du lien social et de la fraternité », mais plutôt qu’ils ne soient « pas dupes de l’instrumentalisation des JO comme outil de détournement de l’opinion publique des enjeux vitaux de notre époque : le défi climatique et la sauvegarde de notre cadre démocratique et de notre pacte social. »
Montée du national-populisme et des démocraties illibérales, des JO qui sont « pour le gouvernement et les organisateurs l’occasion de généraliser la surveillance dans l’espace public », via « une vidéosurveillance augmentée et discriminatoires », « un nettoyage social et scandaleux marqué par une chasse aux pauvres dans les villes d’accueil », « une accélération du phénomène de gentrification »… Des dénonciations faites par les élu.e.s locaux qui ballaient d’un revers de main la part de rêve euphorique colportée par les JO de Paris 2024.
Une tribune semblable à un « retour de flamme », comme la nommait l’adjoint au maire de Marseille en charge de la transition écologique dans un post Linkedin, que se prennent aussi bien les finances publiques des jeux que les contribuables. Ces derniers, qui au final, sont bien ceux qui doivent débourser « pour payer le coût colossal de ces JO de Paris 2024 et ses dispositifs expérimentaux ». Un coût chiffré à « un peu plus de 17 millions d’euros » sur le département des Bouches-du-Rhône pour les travaux liés aux infrastructures, selon sa présidente Martine Vassal. Quant à la note de l’arrivée du prestigieux Belem et de la flamme olympique à Marseille, elle s’élève à 1,6 million d’euros pour nos collectivités, avec un peu plus de 1 million d’euros supporté par la mairie de Marseille selon le budget annoncé.
Alors certes, les retombées économiques pour Massilia et les Bouches-du-Rhône seraient au rendez-vous, estimées par le cabinet d’audit marseillais Approbans à 18 M€ pour la seule arrivée du flambeau olympique (8 M€ de retombées visiteurs et 10 M€ de dépenses organisateurs et partenaires) et à 200 M€ (flamme + jeux) pour le territoire marseillais (dépenses des visiteurs et retombées des organisateurs).
Mais à l’heure où le coût de transition écologique des collectivités territoriales est évalué à 21 milliards d’euros par an par le gouvernement, et qu’un besoin additionnel de financement à trouver d’ici 2030 est estimé à 67 milliards d’euros, faire briller la flamme, quoi qu’il en coûte, à Marseille comme ailleurs, s’inscrit-il encore dans les priorités de ce monde de demain qu’il nous est urgent de construire ?
Peut-on encore penser des manifestations populaires telles que les JO de Paris 2024 comme nous l’avons toujours fait jusqu’ici, en revêtant les ornières du déni face à un impact environnemental pourtant bien réel, au nom de retombées économiques juteuses et d’une flamme qu’il est important de raviver dans le cœur des gens en mal de morosité ambiante et de perte de pouvoir d’achat ?
Un autre point dénoncé en substance par les élu.e.s marseillais signataires de cette tribune « rabat-joie » dans Libération le 7 mai, en soulignant « l’impact écologique négatif des JO de Paris 2024, avec la construction de nouvelles infrastructures de béton qui suppriment des espaces de nature (…), ses sources de pollution supplémentaires, des dérogations au droit de l’urbanisme et de l’environnement, et un immense impact carbone lié aux déplacements intercontinentaux ».
Non, le monde de demain n’est pas encore advenu. Et si pour nos politiques, la flamme olympique est un symbole et une occasion unique de mettre en valeur la richesse de leur territoire, elle ne fait vraisemblablement pas briller l’espoir de nous acheminer vers un monde plus vivable. Le ramassage d’urgence des déchets laissés aux Goudes par les spectateurs au lendemain de l’arrivée de la flamme par l’association Clean my Calanques, on en parle ?
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