D’abord, il y a les faits. On croit rêver. Halluciner. Début février, des légumes sont rappelés dans plusieurs hypermarchés Leclerc de l’Hexagone pour cause de dépassement des limites autorisées de dimethylnaphthalene, fludioxonil, prothioconazole-desthio et bixafen. Des pesticides de synthèse dont les ravages toxiques sur la santé et l’environnement sont bien avérés.
Quelques jours plus tard, le 6 février, alors que la grogne agricole française a contaminé les axes routiers hollandais, allemands ou encore espagnols, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonce le (Br)Exit du règlement portant sur leur usage. Les pays de l’Union ne sont plus tenus de réduire de moitié leur recours aux pesticides d’ici 2030 comme prévu.
Un peu plus tôt, le 1er février, pour calmer la colère des agroindustriels français (et non celle des petits exploitants), Gabriel Attal impose la « pause » d’Ecophyto, le plan de réduction des pesticides prévu par le gouvernement pour le même horizon. Une mesure revendiquée par les mastodontes de la FNSEA pour lever les barrages. Mais une « pause » qui ne répond en rien à la revendication phare pourtant exprimée au début de l’invasion massive des tracteurs : permettre à ceux qui nous nourrissent « d’arrêter de crever » en leur offrant la possibilité de se dégager des revenus qui dépassent ceux d’un Smic minoré.
Des petits exploitants qui se meurent et se considèrent comme les grands oubliés d’une Europe qui revoit sans cesse à la baisse le budget qu’elle leur consacre au travers de la PAC, la Politique Agricole Commune (66% dans les années 80, 31% pour la période 2021-2027). Des cul-terreux qui se disent écrasés sous le poids de normes écologiques européennes perçues comme d’autant plus inégales et mortifères une fois remaniées à la dure par les dirigeants français.
Puis le contexte. Ecophyto, un plan initié en 2008 sous Sarkozy pour sortir du tout pesticides en France dix ans plus tard. Repoussé à l’échéance 2025 dans une version 2 en 2015. Et dont la mouture 2+, l’actuelle donc, n’a toujours pas permis de voir éclore les jeunes pousses de solutions alternatives aux produits phytosanitaires de synthèse. Entre productivité, rentabilité et respect de la Terre et de l’Homme, il faut encore choisir.
A la place, c’est le plus que très controversé glyphosate (dont l’autorisation de renouvellement se profile jusqu’en 2033) qui se réinvite avec force sur la scène médiatique, suscitant des débats forcément houleux. Un herbicide totalement inoffensif pour ses partisans, qui font au passage un beau doigt d’honneur aux nombreuses instances scientifiques (l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer en tête) qui affirment pourtant le contraire.
Le tout sur fond d’une inflation qui pique, d’un pouvoir d’achat en berne, d’une part toujours plus grandissante de la population éprise de nausées à l’idée de se savoir empoisonnée, et d’une urgence écologique à laquelle entend répondre la transition. En bref, sur fond de crise sociale et de crise environnementale.
Aux Gilets jaunes d’hier se sont substitués les Gilets verts d’aujourd’hui. Quelle(s) couleur(s) arboreront les Gilets de demain ? Là se situe bien la crainte de nos dirigeants français et européens. Y compris à Marseille, où dans un autre registre, celui de la mobilité, la présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal, a annoncé reporter « sine die » l’extension de la ZFE aux véhicules Crit’air 3 prévue pour 2025. Parce que, ici aussi, le fameux slogan « fin du monde contre fin du mois » est bien palpable. Qu’il ne touche pas que le monde agricole. Et qu’en aucun cas, il ne faudrait que l’écologie ne se voit définitivement reléguée au rang de « punitive ».
Faits, contexte… et maintenant ? Brandir l’étendard de la pause écologique pour éviter de s’enliser dans une crise sociale hémorragique ne peut être une solution sur le long terme. Tout simplement, parce qu’au même titre que la crise sociale et du pouvoir d’achat est bien réelle, la crise écologique l’est tout autant.
Comme l’affirme le permaéconomiste marseillais Emmanuel Delannoy dans un post sur Linkedin, « l’écologie n’a pas à être positive ou négative, et encore moins punitive ». L’écologie a simplement à être. Non pas comme une préoccupation majeure dissociée d’un tout, ce que nos élites on encore trop tendance à faire, mais bien en tant que partie intégrante de ce tout.
De l’écologie politique née dans les années 1960, nous sommes donc invités à glisser vers l’écologie systémique. Un système forcément (très) complexe à penser et construire, comparable à une gestion de projet à super grande échelle, puisque mondiale, et dont nous commençons à peine à penser les premiers contours. Une transition qui ne peut se penser sous l’injonction des « il faut, y’a qu’à » de rigueur que l’on voit émaner de part et d’autre.
La transition ne se fera pas en un claquement de doigts. A l’instar des grands courants passés qui ont marqué l’Histoire, elle se déroulera sous le coup d’expérimentations, d’avancées et de reculs. De temps de « pause » voués à pouvoir réajuster les mauvaises trajectoires empruntées. Reste à espérer que ceux qui viennent de nous être imposés par la France et l’Europe s’accordent au rythme de plus en plus pressant de l’horloge interne de la terre. Car si la patience est la plus grande des vertus, pas sûr que notre planète ait encore la capacité de la cultiver très longtemps.
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